Produit en Bretagne : entre promesse de local, réalités industrielles et confusion des labels.
- Adele Daniélo
- 15 nov.
- 4 min de lecture
Un label né pour incarner le local
En 1993, en pleine évolution du secteur agroalimentaire, un collectif d’entrepreneurs bretons lance un symbole destiné à rassurer le consommateur : Produit en Bretagne. L’objectif initial est simple. Il s’agit de mettre en valeur les productions réellement réalisées dans les cinq départements de Bretagne historique : Côtes-d’Armor, Finistère, Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique et Morbihan. Le label doit aussi soutenir l’économie du territoire en mettant en avant les entreprises qui y travaillent quotidiennement.
Pendant longtemps, le logo est perçu comme une garantie d’authenticité. Acheter un produit labellisé revient à soutenir l’emploi local et les savoir-faire régionaux. Le discours officiel de l’association est parfaitement clair à ce sujet :« Pour chaque produit porteur de notre logo, vous avez l’assurance qu’il est fabriqué en Bretagne. »
Avec le temps, cette promesse a été interprétée comme une garantie d’origine locale. Pourtant, ce n’est pas exactement ce qu’assure le label.
Un réseau puissant, structuré et fortement industriel
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer. Produit en Bretagne n’est pas un label artisanal ni une fédération de petits producteurs. C’est un réseau extrêmement structuré, dont le budget atteint 2,125 millions d’euros en 2025. Il regroupe des centaines d’entreprises de taille très différente, dont de nombreux poids lourds de l’agroalimentaire et de la distribution.
Le conseil d’administration lui-même reflète cette dimension. Parmi ses membres figurent par exemple : Jean Coisnon, président de l’association et dirigeant d’une agence de marketing. Loïc Hénaff, ancien président, issu de l’entreprise Hénaff. Christophe Paumard, vice-président pour la distribution et cadre d’Intermarché. La SCARMOR, centrale bretonne des magasins Leclerc, membre fondateur du réseau. Ou encore le cabinet Setti et Pascal Michel, liés à l’Institut de Locarn et à des stratégies externes d’optimisation ou de délocalisation pour certaines entreprises bretonnes.
Dans l’écosystème du label, on retrouve également des entreprises majeures comme Triballat, Even et Laïta (Paysan Breton, Mamie Nova), Malo, Marie Morin, Le Saint, Breizh Cola ou le groupe Le Duff (Brioche Dorée, Del Arte).
Produit en Bretagne est donc avant tout un outil économique au service d’un réseau industriel régional puissant.
"Produit en Bretagne n’est pas produit de Bretagne »
C’est ici que l’essentiel se joue. Dans l’esprit du public, le label renvoie souvent à un produit réalisé avec des matières premières bretonnes. Mais la réalité est plus nuancée. L’association l’explique d’ailleurs très clairement :
« C’est pour nous l’action de produire qui importe en tout premier lieu, et de ce fait l’emploi. »
Autrement dit, Produit en Bretagne défend la production locale, mais pas nécessairement les ingrédients locaux.
L’association ajoute également :
« Si le ou les ingrédients principaux ne sont pas disponibles dans la qualité ou la quantité requises, ils peuvent être achetés à l’extérieur. Le produit pourra néanmoins revendiquer le logo s’il a été transformé substantiellement. »
En pratique, deux notions juridiques permettent d’apposer le logo.
Fabrication en Bretagne
Le produit peut porter le label si la dernière étape de production a lieu en Bretagne. Il peut s’agir de la cuisson, de l’assemblage, du mélange, du conditionnement ou même de l’étiquetage. L’origine des matières premières n’a aucune importance dans ce cadre.
Transformation substantielle
Le droit européen considère qu’un produit change de nationalité s’il subit une transformation modifiant sa nature, son usage ou son code douanier. Cela signifie qu’un produit dont les ingrédients proviennent de l’étranger peut devenir « breton » au moment où il est transformé sur le territoire.
Un exemple suffit à comprendre : un chocolat importé, fondu puis moulé en tablettes à Rennes, peut être considéré comme fabriqué en Bretagne. De même, du lait importé puis transformé en yaourt dans le Morbihan peut afficher le logo, même si la matière première n’a pas été collectée localement.
Cette souplesse rend le label cohérent avec l’objectif économique affiché, mais elle crée aussi une confusion pour le consommateur, qui associe souvent le logo à une origine géographique plus stricte.
La question des délocalisations : un paradoxe révélateur
Autre point interpellant : la présence, dans l’écosystème du label, d’acteurs liés à des stratégies d’optimisation internationale. Le cabinet Setti ou Pascal Michel, souvent cités dans ce contexte via l’Institut de Locarn, sont connus pour avoir accompagné des entreprises bretonnes dans des démarches d’offshoring ou de réorganisation à l’étranger.
Cela ne remet pas en cause l’ensemble du réseau, mais souligne une réalité complexe. Produit en Bretagne rassemble des acteurs qui défendent l’emploi local, mais qui évoluent dans un environnement économique mondialisé, avec parfois des logiques opposées à l’idée d’un « produit du territoire ».
Le « Fait maison » est-il une alternative plus fiable ?
On pourrait croire que la mention « Fait maison » constitue une réponse plus honnête ou plus transparente. Mais ce label souffre lui aussi de zones grises.
La règle de base est la suivante : un plat est fait maison s’il est cuisiné sur place à partir de produits bruts.
Un produit brut peut être surgelé. La loi l’autorise. En revanche, les produits déjà transformés par l’industrie ne peuvent pas entrer dans la définition.
Ainsi :
Les carottes surgelées entières sont autorisées. Les carottes surgelées déjà coupées ne le sont pas. Les frites préparées sur place à partir de pommes de terre épluchées et coupées dans la cuisine du restaurant sont conformes au label. Les frites surgelées prédécoupées et précuites ne le sont pas, même si elles sont très courantes dans la restauration traditionnelle.
Le logo devait valoriser la cuisine authentique, mais il souffre aujourd’hui d’une image brouillée, notamment à cause de l’usage très variable qui en est fait.
Et finalement : que vaut encore un logo ?
C’est la conclusion la plus simple et la plus honnête. Qu’il s’agisse de Produit en Bretagne ou du Fait maison, un logo ne dit jamais tout. Il peut orienter, rassurer ou valoriser, mais il ne remplace ni la transparence ni l’explication.
Le vrai produit breton, celui réellement issu du territoire, ne repose pas sur une simple vignette collée sur un emballage. Le vrai plat fait maison ne dépend pas d’un autocollant posé sur une vitrine.
Ce qui compte vraiment se voit, se goûte et se raconte. Pour le reste, il suffit de poser des questions, de demander la provenance et de chercher à comprendre comment les produits sont conçus.
Sources :
















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